La structure des polices coloniales françaises et leurs héritages se caractérisent par un croisement institutionnel mêlant des fonctions militaires et policières, ainsi que par une violence systémique fondée sur des logiques raciales et répressives. Ces caractéristiques ont des prolongements historiques jusqu’au régime de Vichy et au-delà, influençant durablement les pratiques policières contemporaines en France.
Les forces coloniales formaient un dispositif militaro-policier unifié, où l’armée et la police partageaient méthodes et objectifs, notamment le contrôle territorial par des raids punitifs, des massacres et un quadrillage systématique des populations colonisées. Ces pratiques, inspirées des guerres coloniales, étaient appliquées aussi bien dans les colonies que transposées en métropole.
Un exemple emblématique est la Brigade nord-africaine (BNA), créée dans les années 1920 en métropole pour contrôler ces populations immigrées. Elle appliquait des techniques issues de l’Algérie coloniale, comme le fichage ethnique et le quadrillage des quartiers, et préfigurait les Brigades Anti-Criminalité (BAC) actuelles. Cette unité recrutait notamment parmi les fonctionnaires coloniaux et utilisait des méthodes de répression politique et sociale similaires à celles employées en outre-mer.
La police coloniale était composée en grande partie d’agents « indigènes », recrutés localement parmi les populations colonisées, mais ils étaient strictement subordonnés à une hiérarchie de cadres français. Cette organisation répondait à une logique qui favorisait le recrutement local pour des raisons budgétaires, mais instaurait une racialisation très marquée des prérogatives et des hiérarchies : seuls les policiers français étaient considérés comme légitimes pour exercer une véritable autorité et disposer de certaines prérogatives.
Il était explicitement interdit aux agents indigènes d’exercer une quelconque autorité sur les colons. Il était impensable, qu’un policier indigène puisse interpeller ou sanctionner un colon, même en cas de désordre manifeste.
Le système colonial instaurait une justice différenciée selon la « race », les colons disposaient de pouvoirs, y compris le droit de punir arbitrairement les « indigènes » sans recours à la justice, souvent par des violences physiques.
Les mécanismes de contrôle incluaient le travail forcé, les amendes collectives et les internements administratifs ciblant spécifiquement les populations colonisées, sous couvert de maintien de l’ordre.
Après les indépendances, la structure policière coloniale a été partiellement recyclée et perpétuée, notamment via le Service de Coopération Technique Internationale de Police (SCTIP) entre 1960 et 1990, qui formaient les polices africaines selon des schémas répressifs hérités de la colonisation. Les indépendances n’ont que superficiellement réformé ces structures, dont les méthodes persistent aujourd’hui dans des pratiques comme le contrôle au faciès et le recours disproportionné à la force policière.
Les BAC sont les héritières directes de la BNA et des Brigades des Agressions Violentes (BAV) des années 1950, qui elles-mêmes ont repris les techniques coloniales de contrôle des populations maghrébines en métropole. Ces unités ont maintenu une logique de guerre policière contre des populations perçues comme « indésirables », renforçant un contrôle social racialement marqué.
Le régime de Vichy (1940-1944) a instrumentalisé les logiques policières coloniales pour appliquer une politique de persécution ciblée contre les Juifs, les Roms, les homosexuels et d’autres « indésirables ». Cette collaboration structurelle avec l’occupant nazi s’est traduite par la création d’unités comme la Milice française, qui reprenaient les méthodes de contre-insurrection coloniales.
Le fichage ethnique et les rafles systématiques, comme la rafle du Vél’ d’Hiv en 1942, s’appuyaient sur des mécanismes administratifs déjà testés dans les colonies. De nombreux administrateurs coloniaux occupèrent des postes clés dans la police vichyste, appliquant une gouvernance par l’exception fondée sur la discrimination raciale.
La loi du 23 avril 1941 sous Vichy a profondément réorganisé les forces policières françaises en centralisant les polices municipales sous l’autorité de l’État, créant une structure nationale unifiée. Cette centralisation et hiérarchisation ont perduré après la Libération, notamment avec la loi Frey de 1966 qui a intégré la Préfecture de police de Paris à la Police nationale, consolidant un modèle policier fortement centralisé et hiérarchisé issu de Vichy.
Les polices coloniales opéraient un tri ethnique pour asseoir la domination raciale et leur action visait moins à protéger qu’à maintenir un ordre racial hiérarchisé. Cette logique persiste dans les discriminations systémiques contemporaines, où l’appartenance réelle ou supposée à des minorités détermine l’intensité du contrôle policier.
La violence policière actuelle envers les personnes « racisées « s’inscrit dans une continuité historique, régulée par des pratiques héritées des dispositifs coloniaux et du régime de Vichy. Ces pratiques ne sont pas accidentelles mais structurées par un système étatique qui reproduit et restructure ces modes de contrôle et de répression.
La police française contemporaine porte un héritage complexe issu de la période coloniale et du régime de Vichy, marqué par une structure militaro-policier hybride, une justice différenciée selon la « race », et des pratiques répressives systématiques. Ces héritages expliquent en partie les critiques récurrentes sur les violences policières et les discriminations dans le maintien de l’ordre aujourd’hui.